En temps normal, la gestion des liquidités est nécessaire afin que votre entreprise soit florissante. En temps de crise, comme celle de la COVID-19, c’est ce qui fera la différence pendant et après la période de confinement.
Robert Viau, CPA, CA, ASC est consultant en redressement d’entreprises et en gestion. Il sait pertinemment bien qu’une telle crise étalée sur plusieurs semaines sera décisive pour plusieurs entreprises. Il n’hésite pas à qualifier ces liquidités de trésors de guerre.
« Il faut conserver et si possible améliorer les liquidités, c’est ce qui est le plus important. C’est le premier réflexe qu’une entreprise doit avoir. Pour ce faire, on doit accélérer la collection des comptes à recevoir, prendre des arrangements avec nos créanciers, vendre certains actifs excédentaires et diminuer nos inventaires. Il faut aussi profiter des subventions et prêts disponibles afin de se constituer un petit trésor de guerre. »
Il est donc clair que pour les semaines à venir, afin de traverser la crise de la COVID-19, chaque entreprise doit protéger ses liquidités. « Lorsque le manque de liquidité survient, c’est là qu’arrivent les problèmes sérieux », philosophe M. Viau.
Lorsque l’économie va bien, comme c’était le cas avant la pandémie, les entreprises en bonne situation financière pouvaient présenter un ratio de fonds de roulement de 1,25 sur 1, et plus, soit des actifs à court terme (liquidités, comptes à recevoir, inventaires) de 1,25 fois plus grand que le passif à court terme (marge de crédit, comptes à payer, salaires, taxes). Quoi qu’il en soit, plus une entreprise avait de liquidités avant la crise, plus ses chances sont augmentées d’être de nouveau en affaires après le confinement.
NÉGOCIER AVEC SON BANQUIER
Après avoir stabilisé ses liquidités à très court terme, il importe d’analyser son budget de caisse pour les prochaines semaines, soit les encaissements et les déboursés. Il est essentiel de faire un budget au moins pour les 13 prochaines semaines. Cet exercice vous permettra de prévoir les problèmes qui pourraient surgir et de trouver les solutions adéquates.
« Il faut voir ce que l’on peut retarder dans les déboursés et demander des moratoires aux banques et aux autres prêteurs, poursuit M. Viau. Par exemple, la BDC accorde à ses clients un moratoire de six mois sur le capital. On doit aussi s’entendre avec nos créanciers pour tenter d’échelonner certains paiements. Donc, on doit encaisser le plus possible, retarder au maximum les paiements pour les dépenses non essentielles et négocier des moratoires sur les prêts. »
Avec les banques, c’est toujours plus délicat dira Robert Viau. Mais un appel téléphonique est nécessaire afin de savoir si des arrangements sont possibles pour les prêts et les marges de crédit.
« Il faut démontrer au banquier qu’on est en contrôle malgré tout ce que l’on vit. La crise actuelle est exceptionnelle et il est conscient des contraintes vécues. En présentant votre plan financier sur 13 semaines qui démontre vos liquidités et vos besoins, il comprendra que vous êtes à la recherche d’une solution et déterminera ce qu’il peut faire pour vous aider à passer à travers cette crise. La marge de crédit augmentée est souvent la solution avancée par les banques. Mais, il faut que le banquier soit rassuré. S’il vous téléphone, prenez l’appel rapidement. Vous devez toujours être transparent avec lui. »
L’AIDE DES GOUVERNEMENTS
Depuis le début de la pandémie, les gouvernements du Québec et du Canada ont déployé différents programmes d’aide destinés aux entreprises, dont le soutien de 75% des salaires des employés. M. Viau conseille de bien évaluer le recours à ces programmes d’aide.
« Oui, l’aide est intéressante, mais si on décide de conserver des employés, il faut le faire avec prudence. Si des revenus entrent, oui, c’est bénéfique. Mais si c’est seulement pour les garder sur la paie, c’est plus délicat parce qu’il faudra continuer à payer les avantages sociaux. Si votre trésor de guerre n’est pas élevé, ça vous met à risque. »
Il rappelle aussi que l’aide n’est pas immédiate et qu’elle peut arriver que quelques semaines plus tard. Donc, encore une fois, tout est question de liquidités.
LE MONDE DES AFFAIRES VA CHANGER
Monsieur Viau offre ses services en redressement d’entreprise depuis plus de 25 ans, dont les douze dernières à titre de consultant. Il est habitué de négocier avec les banques et tous les organismes gouvernementaux qui prêtent de l’argent. Durant sa carrière, la crise financière de 2008-2009 a été la plus mouvementée. Une crise qui a modifié les façons de faire pour plusieurs. Selon lui, la présente pandémie va davantage changer le monde des affaires.
Les entreprises du Québec vivent des situations différentes durant cette pandémie : certaines sont plus sollicitées qu’auparavant, comme dans l’alimentation, d’autres ont cessé toutes les opérations. Certaines ont choisi d’innover en commençant par exemple la vente en ligne ou la livraison à domicile. Peu importe la situation, M. Viau invite toutes les entreprises à penser à la relance pour bien préparer la suite du confinement.
« Il faut se questionner sur les façons de redémarrer les entreprises, à savoir si les clients seront toujours là et si les revenus d’avant seront au rendez-vous. Ce sera plus complexe pour les entreprises qui vivent des investissements ou des dépenses en loisirs de leurs clients, comme pour l’industrie du voyage. Il y a une certitude toutefois : dans ce processus de redressement, il y a un pourcentage d’entreprises qui ne passeront pas à travers parce qu’elles n’ont pas les reins assez solides. Le trésor de guerre sera épuisé et l’aide octroyée ne sera pas suffisante. Pour les autres, c’est une occasion de se redéfinir. »
Il donne en exemple une entreprise dans le domaine du textile qui fabriquait des rideaux pour les hôtels et les hôpitaux. Elle fabrique maintenant des jaquettes et des uniformes pour les hôpitaux. « Dans chaque occasion, il y a une opportunité, avance Robert Viau. Il faut profiter de ce temps d’arrêt pour regarder en avant. C’est le temps de faire la planification stratégique que nous n’avons pas le temps de faire en temps normal. Les entreprises doivent revoir leur modèle d’affaires. »
Comme l’économie sera en changement, il faudra penser différemment. « Le premier ministre Legault parle de démondialisation des affaires après cette crise afin de produire davantage ici, au Québec. Après le confinement, l’économie va repartir lentement, mais les entreprises doivent garder en tête qu’une deuxième vague de la COVID-19 est toujours possible et peut entraîner une nouvelle rechute de l’économie. Il faut donc penser à un plan de relance très conservateur afin de mieux se protéger. J’ai toujours dit à mes clients qu’il faut se préparer pour le pire scénario tout en espérant le mieux et non le contraire. Cette fois-ci, j’ajoute une deuxième note de prudence. »
Robert Viau résume ainsi ses précieux conseils : « Les entreprises doivent préserver leurs liquidités le plus possible, penser à la relance, prendre du temps pour revoir leur modèle d’affaires, se redéfinir et prendre du temps de qualité pour le faire. Il faut essayer de voir ce qui peut être fait différemment pour l’avenir face à une éventuelle autre crise. Comment peut-on se protéger. Ce n’est pas facile à faire, je le conçois et c’est le défi à relever. »